La désignation officielle actuelle de l’État siégeant à Moscou — la "Fédération de Russie" — repose sur une construction historique créée délibérément au XVIIIe siècle par le tsarat. Cette construction s’est appuyée sur l’appropriation du nom et de l’héritage de la Rus’ de Kyiv, un État médiéval slave oriental centré sur l’actuelle Kyiv, en Ukraine. Utiliser aujourd’hui le terme "Russie" pour désigner cet État moderne est historiquement trompeur et politiquement problématique, notamment dans le contexte de la guerre d’agression menée contre l’Ukraine.

📚 Contexte historique :
La Rus’ de Kyiv (IXe–XIIIe siècles) est l’un des premiers États slaves orientaux, dont le centre politique, culturel et religieux se trouvait en Ukraine actuelle. Après l’invasion mongole au XIIIe siècle, la Rus’ s’est fragmentée en plusieurs principautés, dont le Grand-duché de Moscou, apparu bien plus tard1.
Jusqu’au XVIIIe siècle, les sources européennes désignaient cet État moscovite sous le nom de "Moscovie"2. En 1721, Pierre Ier le Grand a proclamé le nouvel Empire russe ("Imperija Rossijskaja"), revendiquant délibérément l’héritage de la Rus’ de Kyiv. Ce changement de nom servait un projet impérial de réécriture de l’histoire3.
Aujourd’hui, le nom "Fédération de Russie" perpétue cette tradition et s’approprie symboliquement un patrimoine principalement ukrainien. Cette confusion linguistique est exploitée dans la politique étrangère russe contemporaine pour justifier des revendications territoriales et affirmer une supériorité culturelle4.

❗ Conséquences politiques et culturelles :
L’utilisation simultanée des termes « Rus » et « Russie » entraîne :

• la négation linguistique de la souveraineté culturelle ukrainienne,
• la promotion du mythe de la "nation russe unie",
• la reproduction inconsciente de récits impériaux russes dans le discours européen5.

Ce phénomène a des implications concrètes : les autorités russes utilisent ces mythes pour légitimer leur guerre en affirmant une unité historique imaginaire6.

Footnotes

1. Franklin, S., & Shepard, J. (1996). The Emergence of Rus 750–1200. Longman. ↩
2. Poe, M. (2003). The Russian Elite in the Seventeenth Century. Ashgate. ↩
3. Hosking, G. (2001). Russia and the Russians: A History. Belknap Press. ↩
4. Snyder, T. (2010). Bloodlands: Europe Between Hitler and Stalin. Basic Books. ↩
5. Plokhy, S. (2015). The Gates of Europe: A History of Ukraine. Basic Books. ↩
6. Umland, A. (2022). “Ideological Roots of Russian Neo-Imperialism.” Journal of Post-Soviet Politics. ↩
7. Parlement européen (2022). Résolution sur les conséquences de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine. ↩
8. Wilson, A. (2015). Ukraine Crisis: What It Means for the West. Yale University Press. ↩
9. Leggewie, C. (2014). Europa zuerst. Eine Unabhängigkeitserklärung. Rowohlt. ↩